Adresse aux électeurs des comtés de Saint-Maurice et de Huntingdon

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Adresse aux électeurs des comtés de Saint-Maurice et de Huntingdon, 20 décembre 1847


Messieurs du comté de Saint-Maurice,

Il ne peut rien y avoir de plus consolant pour le patriote, après une absence forcée de huit ans, loin du pays de sa naissance, que de s'y voir au jour du retour l'objet d'une bienveillance aussi inaltérable, d'une confiance aussi inaltérée, que celle dont m'honorent mes compatriotes, et dont spontanément vous donnez une preuve aussi éclatante que celle qui résulte de la demande que vous me faites, de la part du comté de Saint-Maurice, de vouloir le représenter dans le prochain Parlement.

Des calamités épouvantables ont inondé le pays; la minorité victorieuse et vindicative l'a puni mille fois au-delà de ce que permettait la loi; la dictature téméraire de lord Durham condamna à l'exil et l'expatriation des accusés non entendus, [ni confrontés avec leurs accusateurs] et il le fit sous des formes et des conditions tellement arbitraires qu'en Angleterre même, où il n'y avait pas un de ses hommes d'État qui fût plus populaire que lui, avant cet inexplicable écart, un cri universel de surprise accueillit ses ordonnances. De plus mauvais jours encore succédèrent à ceux-là. Un seul parti pouvait parler, il calomnia.

La défense la plus modeste [timide] de l'homme le plus innocent le condamnait au bâillon et à la prison. Les persécuteurs furent-ils plus heureux que les victimes? Qui sur la terre peut lire dans le secret des consciences?

Tous vos patriotes les plus éminents, morts et vivants, déportés ou présents, furent pendant une longue suite d'années indignement calomniés; mais le mensonge fit grandir votre confiance en eux et les maux qu'ils ont soufferts vous les ont rendus plus chers. Eh! que leur importe ce que l'on dira et ce que l'on pensera d'eux dans l'Angleterre, illuminée par les diatribes d'une presse locale pensionnée et passionnée: leur mission était pour vous, comme elle leur venait de vous. Votre approbation consacre leurs noms, là où ils souhaitent que leur mémoire soit chère et respectée.

De tous ceux que la passion de nos adversaires a déchirés, personne n'a eu meilleure part que moi à leurs furibondes déclamations. Je n'étais ni plus ni moins fautif, ni plus ni moins méritant qu'un grand nombre de mes collègues, mais leur bienveillante indulgence m'ayant longtemps et souvent porté à la charge la plus honorable du pays, la présidence par voie d'élection sur l'élite du pays, j'étais plus que d'autres en évidence aux regards des amis et des ennemis politiques. D'ennemis individuels je n'en eus pas beaucoup, je pense, car volontairement, je ne fis jamais de mal ni ne donnai d'offense à aucun individu comme tel. Mais nulle animosité n'est plus virulente surtout chez les hommes qui ont plus d'estomac que de tête, que celle qui résulte des divergences politiques, et j'avais marché jusqu'aux antipodes de la station où la plupart des tories ont pris racine. J'avais parcouru cette demi-circonférence de notre monde politique en bonne et grande compagnie. À nous tous, les insultes et les violences n'ont pas été épargnées. Mais la récompense est plus grande encore que ne fut la violence. Le peuple a réélu partout où ils ont consenti à l'être, les proscrits proclamés. C'est ainsi que le peuple a répondu aux chants de triomphe de ses oppresseurs.

Depuis mon retour j'ai dit, quand quelques fois l'on m'a parlé de retourner à la vie publique, qu'à mon âge, après mes services passés, après de longues et pénibles agitations et trente années de travail et d'anxiétés, je croyais avoir droit à ma retraite; que c'était le tour d'une plus jeune génération de continuer l'oeuvre [que nous avions] commencée; que la patrie avait bien droit en tout temps aux services de ses enfants, mais qu'elle devait égaliser le fardeau; que d'autres pouvaient faire aussi bien que moi, [parce que le pays avait de jour et jour un plus grand nombre de patriotes éclairés et dévoués, et mieux peut-être parce que mon retour pouvait faire renaître chez nos antagonistes des colères mal assouvies], puisque grâces au zèle des fondateurs de nos beaux collèges, l'éducation était plus générale et plus forte aujourd'hui qu'elle ne l'était lorsque je suis entré dans la carrière qu'une jeunesse instruite et patriotique doit parcourir à son tour.

Malgré ces protestations sincères, les deux comtés ruraux les plus populeux des districts de Montréal et de Trois-Rivières veulent m'appeler à l'honneur de les représenter. Oh! les Canadiens sont reconnaissants du bien que l'on a voulu et que l'on n'a pas pu leur procurer, à ce degré qu'ils ont droit et qu'ils auront les services à tout risque de ceux à qui ils en demanderont. Il n'est permis à personne qui sait apprécier le caractère d'un peuple aussi vertueux et aussi souffrant, de ne pas lui céder, si l'on n'a que des considérations personnelles à lui opposer. Aussi ce n'est pas sur mon amour du repos que je m'appuie pour dire aux électeurs de ces deux grands comtés que je souhaite ne pas entrer au Parlement. Je ne le fais que d'après les considérations d'un ordre public que je vous expose au long, et dont je vous laisse les juges.

Messieurs du comté de Huntingdon,

Quand une députation d'hommes influents du comté de Huntingdon, le premier en population du pays, et qui n'est le second d'aucun autre en lumières, en richesse agricole et industrielle, mais surtout en dévouement patriotique, en sacrifice faits, en souffrances éprouvées, en dévastations souffertes autant que quelque autre partie que ce soit de la province à cause de son dévouement patriotique, viennent à l'occasion des premières élections qui se font depuis mon retour au sein de la patrie, après huit ans d'absence sur la terre étrangère, me prier d'accepter la candidature à l'honneur de les représenter en Parlement; lorsque sur les objections que je leur oppose ils répondent non seulement par des raisonnements, mais qu'ils en appellent aux souvenirs et aux sentiments les plus touchants, et que quelques-uns d'eux me disent: pour la sainte cause de la patrie, nous avons souffert en commun, nous dans nos familles comme vous dans la vôtre, nous dans nos personnes comme vous dans la vôtre; nous sommes revenus de l'exil et de la déportation dans les colonies pénales, où nous avons été maltraités; vous, vous avez pu échapper à la vengeance de nos persécuteurs, et le savoir fut pour nous une consolation des nos souffrances; vous, vous avez trouvé un asile protecteur au temps de l'orage, dans la terre classique de la liberté, l'heureux pays qui nous avoisine, la glorieuse et puissante confédération des États-Unis, puis ensuite dans la terre hospitalière, polie, savante d'où sont sortis nos ancêtres, dans la belle France, l'institutrice depuis longtemps des peuples européens qui veulent à sa suite avancer dans la voie de la plus haute civilisation; nous au nom de nos épreuves passées, comme hommes qui n'avons perdu aucune de nos convictions, qui n'abjurons rien de notre passé, qui croyons que vous n'avez pas plus changé que nous, nous vous prions instamment de consentir à nous représenter; nous connaissons assez le comté pour pouvoir vous assurer que nous exprimons ses voeux presque unanimes et que nous y porterons la joie si nous y portons votre acceptation.

Leur donner un refus qui serait basé sur des considérations personnelles, sur l'amour du repos, après de longues années d'agitation, serait une honte et une lâcheté dont je ne serai pas coupable. Si je le donne, ce refus, ce ne sera que d'après la considération du plus grand bien qui peut résulter ou de mon élection ou de ma retraite. J'incline à croire que ce dernier parti, je ne dis pas pour toujours, mais pour le moment actuel, est le plus convenable. Je dois à votre bienveillante démarche, je dois à mon passé de ne pas me retirer sans de puissantes raisons; je me vois forcé par votre insistance de les rendre publiques et de vous en laisser les juges.

Comment cette confiance dont vous m'honorez s'est-elle formée chez vous? Ce ne peut être que par l'observation de ce qu'ont été trente années de ma vie publique: une lutte presque incessante, énergique mais consciencieuse, contre un gouvernement mauvais, mais bien moins coupable alors qu'il ne l'est devenu depuis.

Ce gouvernement mauvais n'est pas à mon avis celui des Murray, Haldimand, Craig, Dalhousie, Colborne, Thomson et autres, sous lesquels nos pères et nous avons successivement souffert; c'est celui de l'Angleterre qui a choisi, approuvé, récompensé ces hommes à la suite des actes d'arbitraire et de violence qu'ils ont exercés contre la colonie, d'où il est naturel de conclure qu'ils ont été dociles à se conformer à leurs instructions: c'est celui de l'Angleterre qui censura les Presvost, Sherbrooke, Kempt et Bagot, qui crurent pouvoir un peu fléchir la rigueur de leurs instructions au désir d'être modérément justes pour nous.

Qu'il fut mauvais n'est plus une question controversible. Le problème, d'abord résolu par les plaintes des populations, l'a été dans le même sens par les dénonciations pleines d'amertume autant que de vérité qu'ont fulminées contre le système dont nous nous plaignions, les représentants de la royauté. Le rapport de lord Durham, les correspondances de lord Sydenham, dans ces parties où ils examinent la conduite et les prétentions composées de l'exécutif et de la représentation dans les deux Canadas, comportent une réprobation contre toutes les administrations subséquentes à l'introduction du système représentatif, aussi formelle qu'en aient jamais exprimé les patriotes les plus ardents. C'est lord Sydenham qui dit:

« Quand je regarde à ce qu'on été le gouvernement et l'administration de la province, mon seul étonnement est qu'ils aient été endurés si longtemps. Quant à moi, je sais que quelque forte que soit mon antipathie pour les institutions yankees, je n'aurais jamais combattu contre elles, ce qu'ont fait des milliers de pauvres diables que les familles en pouvoir (le Family Compact) ne laissent pas que d'appeler rebelles, si ce n'avait été qu'en vue de conserver un gouvernement tel qu'ils l'avaient. »